South Uist semble être l’île la plus défavorisée des Hébrides extérieures, cet archipel du nord-ouest de l’Ecosse que j’ai visité en octobre dernier. Elle a su me toucher par son extrême simplicité et son calme. Récit.
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Articles précédents dans cette série :
- En octobre, cap sur les Hébrides extérieures
- Les Hébrides extérieures, mon aventure insulaire
- Tour à vélo de l’île de Barra
Résumé de l’épisode précédent : après une magnifique journée passée à faire du vélo autour de l’île de Barra, nous sommes coincés sur l’île par une tempête de vent qui semble éternelle. Mais au matin du troisième jour, le vent fou cesse enfin. Nous apprenons à l’aube, sur Twitter, qu’un ferry quitterait Barra dans la matinée pour Eriskay, une petite île reliée par un pont à South Uist. Mission du jour : atteindre le hameau de Howmore, où nous passerons la nuit.
Adieu Barra, bonjour South Uist
Il n’y a peut-être pas beaucoup de transports en communs, dans les Hébrides, mais au moins, ils sont bien articulés. Nous attendons notre tout premier bus des Hébrides au terminal de ferries de Castlebay. Nous ne sommes pas seuls et cela me rassure un peu. Une question me taraude : va-t-on partir par l’est… ou par l’ouest ? Le microscopique bus arrive et nous nous entassons parmi les vieillards déjà à bord. Pour eux, c’est génial : le gouvernement écossais met une carte à leur disposition qui leur permet, après 60 ans, d’emprunter tout transport en commun gratuitement. Le chauffeur connaît tout le monde et ne leur demande même pas où ils vont. Nous, on précise quand même qu’on aimerait attraper le prochain ferry. Le chauffeur nous lance un borborygme amical et j’en déduis que c’est bon, on peut aveuglément embarquer dans ce joyeux bus troisième âge. A bord, il y a aussi Maureen, que nous avions rencontrée… Sur le ferry venant d’Oban. Si le monde est petit, l’île de Barra l’est encore plus. Et sur South Uist, ça se passera comment ?
Premier arrêt : on laisse sortir une mamie et ses commissions. Toute une organisation : il lui faut attraper le premier bus de la journée pour aller “en ville”, régler toutes ses affaires, et attraper le bus dans l’autre sens. Résultat : déjà une demi-journée s’est écoulée. Je reconnais le chemin parcouru à vélo, quelques jours auparavant. Je vois d’autres détails. Mais tout va bien plus vite. A ma plus grande surprise, on fait un crochet sur la droite : oui, on va déposer un autre papy juste devant chez lui. Sympa.
J’écoute le “jeune vieux” raconter sa vie derrière moi, mais je me concentre car son accent est vraiment très prononcé. Je vois dans le coin de mon oeil qu’il porte des boucles d’oreilles en croix et un petit bonnet.
My grandfather built Castlebay and I still use his tools today. We are the Barra McNeils !
Mon grand-père a construit Castlebay et j’ai encore ses outils. Nous sommes les McNeil de Barra !
Il m’adresse alors la parole.
Tu ne voudrais pas venir vivre à Barra ? C’est la meilleure île pour être au calme. Pourquoi irais-tu dans une “piss place” comme Londres?
Encouragé par mon sourire, il se lance dans une histoire de fantôme.
On raconte que chaque soir, à minuit, un fantôme en kilt fait le tour de ce petit loch. On entend parfois sa cornemuse résonner.
Il glousse, puis me désigne sa maison du doigt. C’est là qu’il vit avec sa mère, mais bientôt, il va se marier. Sourires toutes dents dehors.
En sortant du bus, il glisse à Maureen “ah… voilà, j’ai encore raconté l’histoire de ma vie…”. Pas dupe, Maureen lui lance : “Comme si on en avait quelque chose à faire !”.
Grosse ambiance. Il est temps de descendre au terminal de ferry et de scruter les ombres de South Uist, au loin.
South Uist, le vide et le silence
La traversée en ferry est rapide mais secoue pas mal. Grâce à notre pass Spirit of Scotland, nous ne dépensons pas un kopeck. Plus tard, on entendra des gens raconter comment ils ont été complètement arrosés par une vague coquine qui a décidé de nous passer au dessus. Pour moi, c’est une demi-heure administrative où je réponds aux emails en profitant du wifi offert sur le ferry. En débarquant, on remarque un autre petit bus, similaire à celui que nous venons de prendre. Différence : le chauffeur est encore moins compréhensible et, bonus, il ressemble tout à fait à l’image que je me fais de Balzac. Oui, mon bus est conduit par Honoré de Balzac.
On traverse la mignonne petite Eriskay et je regrette de ne pas avoir mon propre véhicule : il paraît qu’on peut voir des chevaux sauvages sur cette île ! Mais évidemment, ils ne paissent pas à côté du terminal de ferry. Il y a également plusieurs balades à faire et un bon petit pub, le Politician.
Je me réserve encore la possibilité d’en faire un article entier mais je vous glisse quand même l’anecdote : en 1941, un navire, le SS Politician, s’échoue au large d’Eriskay avec sa cargaison pleine de whisky. Ô joie ! Les habitants de l’île ont récupéré la cargaison et en ont… bien profité. Cette histoire est racontée dans le roman Whisky Galore de Compton Mackenzie, qui a été adapté à l’écran dans le film éponyme (qui a en fait été tourné sur… Barra, oui, c’est compliqué mais c’est comme ça).
Je suis rivée à la fenêtre alors qu’on traverse notre première “causeway”, ces routes endiguées qui permettent de relier deux îles. Dès les premiers kilomètres parcourus sur South Uist, le vide me frappe. Tout est plat, on voit loin, on distingue chaque maisonnette, presque chaque buisson. Beaucoup de bâtisses semblent abandonnées ou en ruines, ce qui alourdit encore un peu plus l’ambiance. Le temps est sec mais un peu couvert, j’ai l’impression d’être au début d’un film d’horreur. On s’arrête à Lochboisdale, le seul bourg du sud de l’île, et il n’y a… pas grand chose. Je rigole quand même : un panneau indique La Rochelle, a seulement un millier de miles.
Arrêt suivant : un vieillard tout ridé, avec un visage qui me fait penser soit à une vieille pomme soit à une belette rieuse, entre dans le bus et salue tout le monde. Il est accompagné de son épouse et je vois à son regard qu’il est partant pour faire des petites blagues. L’homme entonne quelques chansons, rapidement suivi par d’autres passagers. Je suis ravie et je dégaine discrètement mon petit magnéto…
Un instant plus tard, un homme entre dans le bus avec un bébé. A voir la réaction des gens, je me rends compte d’un autre truc : où sont les jeunes ? Où sont les enfants ? C’est une réflexion qui ne nous quittera pas. Au retour, je découvre le travail de la photographe …. sur la jeunesse des Hébrides. Vous dire que nous avons reconnu un jeune homme photographié me fait réaliser que les jeunes sont presque une espèce en voie de disparition dans ces îles.
Coup de coeur à Howmore, South Uist
Le chauffeur s’arrête à une intersection. “Howmoooore”, beugle-t-il, pas soucié par mon regard apeuré : mince, mais… il y a vraiment une auberge de jeunesse, quelque part dans cette plaine ? Il me désigne une rue du menton. Bon. Essayons.
J’ai eu tort de douter. On passe une blackhouse, puis deux, puis trois. Je me dis “j’aimerais bien voir l’intérieur de l’une de ces maisons traditionnelles… Et là, surprise : l’hostel Howmore occupe deux jolies blackhouses blanches ! Mon coeur chavire. Nous entrons et nous tombons sur Chris, un petit Canadien arrivé là à vélo. Il a allumé un feu. Il y a une grande cuisine, une magnifique table en bois, plein de cartes. Et dans l’autre maison, trois dortoirs super confortables et des salles de bains toutes neuves. Ici, on se fait confiance : chacun paye sa nuitée en déposant l’argent dans une petite enveloppe, puis dans une boîte. On ne peut pas réserver : il faut juste se pointer. Sur le site de l’auberge, on nous rassure : jamais, ô grand jamais, des gens ont dû rebrousser chemin. Tout se base sur la bonne entente, l’initiative et le respect. On propose à Chris de venir en promenade avec nous, mais finalement, on se met d’accord pour dîner ensemble, plus tard.
Notre deuxième défi de l’après-midi : visiter le fumoir à saumon de l’île, The Salar Smokehouse. Pas de raison particulière : je suis tombée sur cette adresse sur Twitter, on a un peu déconné, ils nous ont proposé de passer. Alors on y va. On attaque à pied et puis on se fait prendre en stop par deux mamies, à l’aller. Je profite des paysages. On aperçoit quelques reliefs à l’arrière-plan mais l’île semble vraiment plate. Presque cramée, par endroits. Je raffole de cette sensation d’avoir autant d’espace autour de soi, et pas grand chose à l’horizon.
On arrive enfin au fumoir, où il n’y a en fait pas grand chose à voir. On passe tout de même une belle demi-heure à discuter avec la patronne, avant de repartir avec notre petit paquet de saumon fumé sous le bras. Ce soir, les pâtes auront une saveur particulière ! Le poisson est à tomber et ne ressemble pas du tout au saumon fumé que l’on trouve dans les supermarchés. Très bonne surprise !
Au retour, c’est John, un ouvrier bordélique, qui nous dépose à la supérette du nord de l’île. Comme on a un invité, ce soir, on se lâche : on prend même un dessert !
Ma cerise sur le gâteau, mon premier panneau “ATTENTION LOUTRES” au bord de la route. Je jubile.
Une jeune femme, Emi, s’arrête pour nous prendre à son bord. Elle a vécu longtemps en France, avec un Français, avant de revenir sur South Uist après sa séparation, son petit sous le bras. Elle est si belle et si douce, je me demande ce que la vie lui réserve, ici. Elle s’occupe de personnes âgées et sillonne l’île à longueur de journée. Elle me fait penser à une perle que jamais personne ne découvrira.
Balade à la plage et cornemuse au coin du feu
Si la journée était déjà délicieuse, la soirée s’annonçait tout autant magique : nous faisons la connaissance d’un couple d’Allemands et de Johanna et Brian, un couple fantastique que nous recroiserons plus tard. Mais avant de faire plus ample connaissance, nous allons nous promener sur la plage, juste derrière l’hostel. Tant de calme et de quiétude, ça me fait douter que les villes ont jamais existé. Comment imaginer un métro plein à Paris, une tour à Tokyo, un centre commercial à Pékin, quand on est assis sur un rocher face à l’Atlantique avec pas une âme à l’horizon ?
De retour à l’hostel, on se lance dans une vaste soirée de papotage avec nos camarades d’un soir. On se partage la tisane, les chocolats, les bières. Brian tient une boutique de cornemuses à Inverness. Après un moment, il sort une toute petite cornemuse de voyage et se met à jouer. C’est parfait. Faut-il vraiment que la soirée s’arrête ?
J’ai l’impression que rien ne pourra vraiment être mieux que ce soir-là. Mais ça, c’est parce que je ne me suis pas encore réveillée face à un lever de soleil sur un cimetière abandonné. Je vous laisse profiter, et je vous prépare l’épisode suivant pour la semaine prochaine : on fera de jolies découvertes sur l’île de Benbecula !
Toujours aussi sympa, tes récits. J’attends la suite avec impatience…
Bises, bernard
A chaque nouvel article sur les Hébrides, tu me donnes un peu plus envie d’y aller.. Un superbe récit ! Xx
Ils ont l’air aussi sympas et natures que les Irlandais, les Ecossais !
Ca me fait bien envie, ce petit bout du monde… Faudra que tu me guides 😉
Ramène tes semelles, ou ce qu’il en reste 🙂