pierre de la destinee ecosse

En 1996, le point final – provisoire – d’une saga historique est enfin posé : la Pierre de la Destinée est rendue à l’Ecosse par l’Angleterre, ce qui met fin à une saga qui aura duré 700 ans.

Aujourd’hui, la Pierre de la Destinée est visible au château d’Edimbourg, et j’ai eu envie de vous raconter son histoire et expliquer ce qu’elle représente. Je vais mettre de côté les questions liés à son authenticité et son origine – on sait aujourd’hui qu’elle provient d’une carrière dans l’Est de l’Ecosse, et pas de l’autre côté de la planète, ça me suffit. Pour moi, ce qui est plus intéressant, c’est son symbole en tant qu’objet du pouvoir écossais, et donc de l’idée d’une Ecosse indépendante.

Photo de couverture : La Pierre de la Destinée. Crédit : Historic Environment Scotland

C’est quoi, cette Pierre de la Destinée ?

La Pierre de la Destinée est un bloc de grès, aux origines incertaines mais légendaires, qui fut utilisée pour couronner les rois d’Ecosse à l’abbaye de Scone depuis le 9ème siècle, quand même !
Cette pierre, qui est avant tout un symbole de pouvoir et d’indépendance politique, fut dérobée par Edouard 1er d’Angleterre en 1296. Il ne s’arrêta pas là, puisqu’il prit aussi les joyaux de la couronne, les archives royales et quelques reliques, afin de saper entièrement l’autorité de l’Ecosse, symboliquement et politiquement.
Depuis, tous les monarques anglais, puis britanniques, ont été couronnés sur cette pierre, à l’Abbaye de Westminster. Une façon de montrer que quiconque régnait sur l’Angleterre régnait aussi sur l’Ecosse..

Les bijoux de la couronne écossais – Crédit : Historic Environment Scotland

Pourquoi Edouard 1er a-t-il volé la Pierre de la Destinée ?

En 1286, c’est le gros drama en Ecosse : le roi Alexandre III meurt subitement, et son héritière n’est autre que sa petite-fille Marguerite, princesse de Norvège. Problème : elle n’a que 6 ans quand son grand-père meurt. C’est un groupe de nobles écossais qui prendra, provisoirement, le contrôle du pays.

Edouard 1er, qui avait depuis longtemps le désir de prendre le contrôle de l’Ecosse, se dit : “chic, on va marier la petite Marguerite à mon fils Edouard, et comme ça, l’affaire est dans le sac”. Un tel mariage permettrait à l’Angleterre de mettre la main sur l’Ecosse, par une alliance matrimoniale. L’enfant issu d’un mariage entre Marguerite et le jeune Edouard hériterait automatiquement des deux couronnes. Mais tout ne se passe pas comme prévu puisque, lors de son voyage en bateau vers l’Ecosse, Marguerite meurt, au large des Orcades.

L’arrivée au pouvoir de Balliol

Cet événement tragique marque le début de batailles intestines entre les grands lords d’Ecosse, pour choisir un héritier. Ca peut sembler étonnant, mais ces nobles demandent à Edouard 1er d’Angleterre de jouer le rôle d’arbitre et de choisir le futur roi d’Ecosse. Pourquoi font-ils ce choix ? D’abord, parce que Edouard 1er est en fait le grand-oncle de la petite Marguerite, et aussi parce que tous ces nobles ont des domaines et des revenus en Angleterre, et qu’une guerre civile ne les arrangerait pas, mais alors vraiment pas du tout.
Edouard choisit alors Jean Balliol comme héritier, qui est issu d’une grande famille du sud de l’Ecosse. Pour Edouard, c’est parfait : le voilà doté d’un vassal en Ecosse, qui gèrera le pays sous son autorité.

“[Edouard] ne manifesta nullement l’intention de s’emparer personnellement du royaume du Nord. Ce qu’il voulait était de disposer en Ecosse d’un vassal”
Michel Duchein

Encore une fois, les plans d’Edouard 1er sont chamboulés: dans son dos, Jean Balliol signe une alliance avec la France, au tout début de l’année 1296. Une alliance du style “si les Anglais attaquent ici, on contre-attaque là pour les embêter”. La colère d’Edouard ne se fait pas attendre, et dès le printemps, ses troupes envahissent l’Ecosse. Le roi Jean Balliol est rapidement déposé, et Edouard force autant de nobles que possible à lui prêter allégeance.

La bataille des images entre Anglais et Ecossais

Lors de cette invasion, Edouard rafle tous les symboles de pouvoir, à commencer par les archives du pays, perdues à jamais, la couronne, le sceptre, les reliques. Tout. Et la Pierre de la Destinée. Une manière, selon l’historien Aitchison, de briser “l’équilibre cosmique” qui permettait d’introniser “le roi légitime”. Et pourtant, Edouard ne parvient pas tout à fait à briser ces symboles : quelques années plus tard, c’est à Scone que court Robert the Bruce pour se faire couronner roi d’Ecosse, même sans Pierre de la Destinée. L’abbaye de Scone en elle-même et la colline où les couronnements avaient lieu avaient donc encore une forte valeur symbolique. Robert the Bruce, lui aussi, tient à participer à la bataille des images.

Scolne Palace

Voilà la motte, face à Scone Palace, où les couronnements auraient eu lieu. Une copie de la Pierre de la Destinée y est visible.

Comment la Pierre de la Destinée est devenu un symbole de l’indépendance écossaise ?

Selon certains historiens, comme Broun, c’est en fait en volant la pierre qu’Edouard en a fait un symbole de l’identité écossaise, et de cette nation en construction. Les Ecossais avaient là une cause commune derrière laquelle s’unir !

La guerre des symboles a perduré, même à l’époque moderne : on la retrouve quand Sir Walter Scott, pourtant vrai Unioniste, fait des pieds et des mains pour faire revenir Mons Meg, le plus gros canon du château d’Edimbourg. Celui-ci était conservé à la Tour de Londres, oublié de tous. C’est toujours le même Scott qui “découvre” les joyaux de la couronne, enfermés dans un coffre dont personne n’avait la clé, et qui les remet à l’honneur. Ce sont toujours ces objets – couronne, sceptre et épée – que l’on peut voir au château d’Edimbourg.

Un retour symbolique de la Pierre de la Destinée en 1996

Longtemps discutée, la question du retour de la pierre a toujours été repoussée à plus loin, car il y avait toujours plus urgent. C’est finalement une aventure rocambolesque qui refait la lumière sur l’histoire de cette pierre : en 1950, des étudiants écossais s’introduisent dans l’abbaye de Westminster et volent la pierre. Ils parviennent à la ramener jusqu’en Ecosse, mais se font arrêter et doivent la rendre.

Ce n’est “que” 46 ans plus tard que la pierre est finalement rendue. Au lieu de la ramener à Scone, où l’abbaye n’existe plus, mais où la colline où avait lieu les couronnements est encore bien visible, la Pierre de la Destinée est conservée au château d’Edimbourg. Bien sûr, promesse a été faite de prêter la pierre en cas d’un couronnement de monarque, qui n’est pas au goût du jour pour le moment.

Personnellement, j’ai été touchée par l’histoire de ce bloc de grès, qui déchaîne tant les passions. Comme l’a dit l’historien Niel Ascherson, cette pierre et les symboles qu’elle porte ont surtout été “une invitation, pour les Ecossais, à se définir par ce qu’ils sont, plutôt que par ce qu’ils ont subi”.

Si vous voulez voir la Pierre de la Destinée de vos yeux, vous pouvez visiter le château d’Edimbourg. L’autre visite sympathique à faire, c’est celle de Scone Palace ! A l’extérieur du manoir du 19ème, construit en lieu et place de la résidence de l’abbé, on peut encore voir la motte où les couronnements avaient lieu. Une « fausse » Pierre de la Destinée s’y trouve d’ailleurs. Et si vous voulez lire un bouquin sur l’histoire de l’Ecosse, je vous conseille Histoire de l’Ecosse par Michel Duchein.