Voilà quelques jours que cet article trotte, par bribes, dans mon esprit. Je passe le cap des trois ans en Ecosse cette semaine, et il faut bien en dire un mot. Et pourtant, cette fois-ci, je n’y arrivais pas. Finalement, ce soir, l’inspiration s’allume, à l’heure où tout le monde va dormir. Cette semaine, j’ai assisté à trois concerts forts et marquants. Comme un symbole, j’y vois l’écho de ces trois années étranges passées en terre écossaise.
Trois ans à Edimbourg, comme si c’était écrit
13 août 2015 : atterrir à Edimbourg, passer la nuit dans un appartement sans électricité à se demander quelle mouche m’a piquée. Je me souviens avec beaucoup de précision de ce moment de doute, assise, en pleine nuit, sur un lit acheté le jour même, à la va-vite, à une famille de 5 qui partait s’installer en Australie. Un peu plus tôt, j’avais mangé une « jacket potato » au cheddar dans le parc du quartier. Je n’avais pas encore de rideaux et je regardais le carré de lumière jaune sur le sol. J’écoutais le bruit incessant des voitures. Je soupesais tout ce que j’avais quitté pour ce qui m’avait attiré ici, à Edimbourg.
13 août 2018 : applaudir Elephant Sessions, un groupe découvert quelques mois auparavant. Autour de moi, il y a des gens que j’aime. Il y a Marie, grâce à qui j’ai découvert Elephant Sessions, et qui, depuis mes premiers jours d’adoptée écossaise, joue avec brio le rôle de mon ange gardien. Je répète à qui veut l’entendre que je lui dois tout ici. Et c’est vrai. Alors ce soir, je lui paye une pinte. Pas la première, et de loin pas la dernière. Ce soir là, je réalise que c’est elle, ma Jurassienne rencontrée en Ecosse, qui me fait me sentir à la maison. La voir sautiller près de moi durant le concert me donne la certitude que je suis au bon endroit. Il y a aussi un joli Glaswégien, que j’ai convaincu de venir à Edimbourg un lundi soir, en pleine semaine de boulot. Il n’a pas regretté. Lorsque je l’ai rencontré, quelques mois auparavant, j’avais parlé d’Elephant Sessions et du premier concert que j’avais vu, la semaine précédente, à Glasgow, justement. « Elephant Sessions », avait-il répondu, « mais j’adore! ». Cette histoire commençait plutôt bien. Autour de moi, il y aussi Laura. Laura est Américaine. Elle est de passage quelques jours à Edimbourg, et quand j’ai parlé du concert, elle a commandé ses billets dans la seconde. Laura est la première personne que j’ai rencontré lorsque j’ai posé le pied en Ecosse pour la première fois. Nous sommes fin octobre, en 2014, j’arrive à Edimbourg en train, dans la tempête. Je me réfugie à l’auberge The Baxter, qui deviendra, vous le savez, ô combien symbolique pour moi. J’y rencontre Laura, qui me propose de visiter la ville ensemble. J’acquiesce. Nous passerons en réalité toute la semaine à voyager ensemble, à St Andrews, Dundee et Inverness. Un truc se passe, entre elle et moi. Depuis, on s’était écrit des petits mots, sans jamais se revoir. Et ce soir-là, elle est là, avec Nathan, son amoureux. La voir là coule presque de source.
Entre deux chansons, elle me glisse quelque chose que j’avais oublié. « Ca ne m’a pas étonnée que tu aies décidé de déménager ici : dès le premier jour, tu as dit que tu te verrais bien vivre à Edimbourg. » Et d’un coup, tout fait sens.
Trois ans à se mêler parmi les Ecossais
La veille du concert d’Elephant Sessions, j’étais déjà en train de sautiller dans une foule. Une foule un peu différente. Ce soir là, j’étais à Glasgow, pour la clôture des Championnats Européens dont je vous parlais dans cet article il y a quelques semaines. Un événement international, où l’on a essayé, au mieux, de faire participer les Glasgwégiens. Le coeur de ce bouillonnement estival et culturel, c’était George Square, et le summum, c’était peut-être le concert de clôture. Gratuit. Aléatoirement sec (Edimbourg était noyée sous les averses ce jour là, Glasgow resta sèche toute la soirée). La programmation m’a agréablement surprise : Siobhan Miller et sa voix d’ange, les solistes de Tanxugerias, tout droit venues de Galicie, Ross Ainslie et Jarlath Henderson, deux joueurs de cornemuse vraiment pas comme les autres, la magnifique Fatoumata Diawara, et enfin Shooglenifty, que je découvrais, et qui ont juste transformé la foule en millions de grains de maïs chauffés à blanc, qui pètent et qui deviennent pop-corn. C’était dingue. Un dimanche soir de dingue.
Si Glasgow est vraiment une métropole européenne multiculturelle, dans les soirées comme ça, je me sens bien parmi les Ecossais, ceux qui sont nés en Ecosse où ceux qui l’ont choisie. Ceux qui font l’Ecosse, d’une manière ou d’une autre. Ce soir-là, dans la foule, je danse avec plein de gens. Des vieux de la vieille, sans doute nés dans une banlieue de Glasgow, des étudiants, des voyageurs. Je danse avec le joli Glasgwégien cité plus haut, avec ses amis, qui m’adoptent peu à peu et qui ignorent gentiment mes fautes d’anglais. Même si ce n’était pas facile, je réalise que j’ai réussi à m’intégrer. Que j’ai noué des liens. Que j’ai appris des trucs, que je me suis immiscée dans des familles, que j’ai participé à des traditions marrantes, inédites pour moi. Ca compte pas mal.
Cette année, particulièrement, j’ai vraiment cherché à en apprendre plus sur les groupes écossais. Outre les grands noms, c’est les musiciens locaux qui m’intéressent. C’était mon fond de commerce quand je vivais en France, à Grenoble. Que ceux ici qui se souviennent du magazine Grenews, mon journal le plus préféré, aient une pensée émue à notre rubrique « Scène Locale ». Je n’aime pas les boîtes de nuit, mais les concerts, ça a toujours été mon truc. Et pourtant. Depuis mon déménagement en Ecosse, cet intérêt s’était un peu effacé. C’est seulement cette année que j’ai repris le chemin des salles et des festivals. Et c’est un plaisir fou.
Trois ans pour se lier à tous ceux qui aiment l’Ecosse
Troisième et dernier concert. Un mois auparavant, j’avais réservé, sans même réfléchir, deux tickets pour un concert un peu spécial de Karine Polwart, une chanteuse écossaise de renom. Mais ce soir, elle ne chantait pas ses chansons à elle. Entourée de Inge Thompson et d’autres musiciens, elle a construit une playlist pour faire découvrir la crème de la crème de la pop écossaise. Ca tombe bien : je n’y connais rien. Le concert se déroule dans un lieu qu’il me tardait de découvrir : le Leith Theatre, récemment retapé par des armées de bénévoles pour le festival Hidden Doors. Ce théâtre avait été abandonné durant des années avant de reprendre vie, il y a deux ans. Je me prépare donc à rencontrer un lieu beau, symbolique, ancré au coeur du « vrai Leith », sur Ferry Road. Par hasard, je passe devant un logement que je visiterai le lendemain : et si ce quartier devenait le mien ?
Voici Karine Polwart avec son frère Steven et Inge Thomson.
Ce concert est un symbole. Le symbole de tout ce qu’il me reste à apprendre sur l’Ecosse, car de tous les artistes de la pop musique écossaise que Karine Polwart met à l’honneur, je n’en connais aucun. Allez, si : le groupe entonne Sunshine on Leith, des Proclaimers. La salle, comme un seul homme, entonne les célèbres couplets. Que l’on soit fan des Hibs ou pas, on a forcément entendu Sunshine on Leith quand on habite… à Leith.
Mais mon symbole préféré, c’est celui que porte la camarade qui m’accompagne : Marie-Noëlle, qui, un soir d’hiver, est venue toquer à la porte de « mon » auberge. Marie-Noëlle vient de Guyane Française et elle s’est découvert une passion folle pour l’Ecosse et les gens qui y habitent. Comme je ne peux que partager son avis, on est devenues bonnes copines. Et dès que Marie-Noëlle franchit les océans pour venir voir son Ecosse, et ses copains d’Ecosse, je suis là pour l’accueillir. A travers elle, je pense à tous ceux avec qui je partage cet appétit écossais. On a beau être né près de l’Equateur, si on succombe aux charmes des beaux glens et du brouillard sur Edimbourg, on est du même clan. Marie-Noëlle et moi, on est du même clan, malgré quelques années et quelques kilomètres de différence. Ce soir, au Leith Theatre, elle partage mon désarroi face à toutes les références culturelles que je loupe, mais aussi mon émotion quand la voix de Karine Polwart s’élève dans les hauteurs du théâtre, où nous sommes nichées.
Trois ans. Trois ans pour se rendre à l’évidence – je suis là où je dois être – trois ans pour nouer de vrais liens avec les gens d’ici et laisser de nouvelles histoires grandir, trois ans pour bâtir un espace commun avec ceux d’ailleurs qui ont choisi l’Ecosse, pour un séjour ou pour une vie. Trois ans, c’est rien. Mais c’est déjà assez pour me permettre de mesurer le chemin parcouru, de soupirer d’aise, et d’aller faire des gin & tonic pour les copines. Trois ans pour faire mien le motto de Leith : Persevere. Trois ans pour finalement écouter d’un peu plus près les paroles de Sunshine on Leith quand c’est Karine Polwart qui les chante :
My heart was broken (…). You saw it, you claimed it, you touched it, you saved it
Sarah c’est vraiment un très beau témoignage de ton amour pour l’Ecosse!
Tu nous fais rêver, tu nous enchante avec tous ces bin moments.
Continue Sarah…
Magnifique article ! Trois concerts, trois histoires, j’adore quand tu nous racontes ton histoire de cette manière avec des anecdotes, ta plume est vivante, c’est incroyable !